« 143 Rue du Désert », de Hassen Ferhani
Havre de paix au milieu du Sahara

Charlyne Genoud | Sur les premières images pastel de 143 Rue du Désert, il y a avant tout l’horizon. Une ligne de fuite qui semble infinie et dont émaneront plusieurs figures masculines venues faire une halte dans le café que tient Malika. Depuis 1994, cette algérienne d’âge mûr vit et œuvre en quasi autarcie au bord de la route trans-saharienne qui traverse l’Algérie.
Le dehors et le dedans
Les routiers qui s’attardent chez elle la connaissent tous depuis plusieurs années car son café fonctionne comme la borne d’un chemin semblant sinon infini: c’est Malika, que l’on nomme aussi tour à tour reine du désert ou gardienne du vide. Cette sorte de mère nourricière des voyageurs du désert les accueille et les sert de café, de thé ou d’œufs, une occasion pour elle de partager avec eux du temps, des mots et parfois ses maux. De la petite salle où elle les reçoit, cette matrone regarde le monde défiler sous ses yeux par des petites fenêtres. Hassan Ferhani parle de cette femme comme d’une spectatrice du monde réel, qui contemple la vie du désert comme si c’était un film. A ce titre, les cadres dans le cadre des plans du film orchestrent autant qu’ils poétisent le propos. Les images de fenêtres vues depuis l’intérieur du café révèlent la posture de Malika l’observatrice alors que les prises de vues de l’extérieur de la bâtisse exposent le regard posé par les visiteurs sur ce lieu de passage. Tout un jeu sur le dehors et le dedans semble ainsi être proposé par le
réalisateur algérien. Entre ces deux univers, il y a Malika, une sorte de passeuse qui permet à tous de circuler entre cet observatoire hors du temps et la route où filent des camions à toute allure, reflet du reste du monde.
Vivre dans les paroles des autres
Ceux qui pénètrent ce havre de paix amènent avec eux leurs vies et leurs histoires, qu’ils content parfois en regardant directement la caméra. Les pauses de
chacun forment un itinéraire que l’on suit grâce au film, à l’image de la description qu’en donne le réalisateur lui-même : « un road trip inversé ». Dans ce lieu neutre arrive par exemple un groupe de jeunes qui dansent et chantent, entraînant magistralement la vieille femme dans leur harmonie. Pour la première fois, la caméra est prise à l’épaule dans un mouvement brusque, comme pour signifier cet instant où le silence ambiant et le vide habituel sont rompus. Elle danse avec eux, ravigorée par cette jeunesse mélodieuse. Cependant, l’heure du départ arrive toujours. Elle est parfois filmée, parfois comprise implicitement mais n’est jamais dramatisée. Après l’explosivité de la musique, le retour du vide et du silence soulignent le choix de vie impressionnant et solitaire d’une femme « sans enfants ni parents », comme elle se décrit elle-même. Le documentaire se penche alors sur Malika sans jamais la questionner frontalement : on ne la découvre en effet uniquement dans ses discussions avec ces êtres de passage, comme pour illustrer une identité basée sur le partage et les échanges. Au sein de ces derniers, elle parle fièrement de sa solitude maîtrisée. Cependant, une fois que sont passées les minutes qui introduisent le quotidien de cette reine du désert, on la voit de nuit, toujours attablée à sa petite table chancelante mais avec cette fois-ci pour seule compagnie une lampe qui projette une ombre gigantesque sur le mur derrière elle. Le réalisateur semble ainsi sans cesse savoir faire parler ses images épurées.
Le réalisateur d’une Algérie en pleine transition
Né à Alger en 1986, Hassen Ferhani est un jeune cinéaste ayant pour volonté de replacer l’humain au centre des priorités. Il s’est découvert une passion pour le cinéma à dix-sept ans, alors qu’un film était tourné dans son quartier. Il a ensuite rejoint l’université d’été de la FEMIS (Ecole nationale supérieure des métiers de l’image et du son) où il s’est initié à diverses métiers du cinéma. Très ancré dans la société algérienne, ce touche à tout utilise la caméra pour militer et révéler la poésie de son pays. « 143 Rue du Désert » est son deuxième long-métrage, un film qui lui a valu le prix du meilleur réalisateur émergent au festival de Locarno en 2019.
