« Contradict » – Militer en rappant
Documentaire de Peter Guyer et Thomas Burkhalter

Charlyne Genoud | La nouvelle saison de Ciné-doc s’ouvre avec puissance sonore puisque c’est « Contradict » de Thomas Burkhalter et Peter Guyer qui sera projeté dans les dix salles partenaires. Réalisé par un Zurichois et un Bernois, le long-métrage suit des jeunes Ghanéens exprimant par la musique leur colère contre la société conservatrice qui les enferme.
Rencontres
Le film s’ouvre avec une voix qui nous murmure à l’oreille « Qu’est-ce qui cloche dans notre monde ? ». La voix over continue de poser toujours plus de questions, mais jamais d’y juxtaposer une réponse: les images s’en chargeront. Nous sommes à Accra en 2013 et la chanson « This is Africa » guide notre contemplation de ce premier plan mouvementé. Il y a le bruit des gens qui parlent et celui des machines. Dans ce décor viennent se placer deux exubérants rappeurs, qui provoquent autant de rire dans le film qu’au sein du public. Tenant un jerricane en plastique jaune à bout de bras, ils arpentent les rues en criant « Help America ! ». Après cette rencontre en pleine ville, la caméra les suit dans leur intimité pour une interview plus sérieuse et profonde. L’artiste du groupe FOKN Bois explique alors que leur but et de dire les choses passées sous silence, et si possible sous forme de blagues pour garder leur équilibre mental. Le montage fait ainsi s’alterner des moments calmes et intimes à des moments explosifs et publiques. Chacun à leur manière, ces artistes revendiquent leurs droits et leurs idéaux, le tout avec un humour déroutant.
Unis grâce aux images
Lorsqu’il parle de son film, Thomas Burkhalter le décrit avant tout comme une collaboration, car certaines séquences du film sont en réalité les clips musicaux laissés intactes des protagonistes du documentaire. On plonge donc à plusieurs reprises sans s’y attendre dans ces images rythmées par les rimes. Il semble dès lors y avoir en filigrane tout un jeu et un message sur les films faits pour la musique. Rien d’étonnant à cette focalisation, car c’est par l’intermédiaire d’un film que les réalisateurs suisses ont découvert ces talents ghanéens. La caméra suit les artistes entrain d’eux-mêmes tourner le clip vidéo qui accompagnera leur production musicale. On entre totalement dans le film qu’ils tournent, pour ensuite revenir aux plans pris par les réalisateurs de « Contradict ». Ces derniers montrent le public local en train de regarder le clip, projeté publiquement pour la première fois. Cette documentation du spectacle de sa création à sa réception, alors même que nous sommes en tant que spectateur dans la même situation nous percute et nous inclut, pour créer un sentiment fort de lutte commune, fondamental pour le militantisme. Cette union se retrouve d’ailleurs à plusieurs reprises dans les discussions d’un groupe d’artistes. Assis en rond, ils débattent de sujets graves, mais toujours avec humour. Là encore, les procédés cinématographiques sont un terrain de jeu pour l’inclusion du spectateur. Un homme fixe ainsi la caméra en disant « Combien de gens les Etats-Unis ont-ils tués ? ». Le spectateur est fixé, par son regard il milite.
« Contradict » de Thomas Burkhalter et Peter Guyer – Dans le cadre de CinéDoc, vendredi 9 octobre, à 20h30 au cinéma de Chexbres en présence du réalisateur Peter Guyer

Des transitions parlantes
Quand il est temps pour le public de rencontrer un autre musicien, les transitions ne se font pas discrètes comme elles le font souvent. Des plans de la rue et des autoroutes d’un Ghana vivant et moderne. Sur ces images, des témoignages. D’abord une phrase puis une autre, des paroles anonymes qui se superposent et créent un effet de brouhaha. Ce programme de transition est répété à plusieurs reprises et magnifie le déroulement du documentaire. Le poids donné aux transitions est particulièrement pertinent au sein du panorama qu’offre « Contradict », car elles rappellent entre chaque portrait la société dans laquelle les protagonistes évoluent. Des entre-deux séquences qui forcent donc à faire une pause et à regarder la situation globale. CG