Servion – Chaque représentation est une première et… une dernière !
La grande Revue Improvisée au Théâtre Barnabé
Michel Dentan | C’est effectivement, chaque fois, à une première et à une dernière que les spectateurs ont le privilège d’assister puisque la fameuse revue de Servion a, sous l’impulsion de la nouvelle direction, changé de concept et de style. Un défi de taille puisqu’il fallait tenter de faire évoluer cette revue, lancée en 1967, et la moderniser tout en conservant une partie de sa tradition à laquelle restait attaché son fidèle public, mais qui demandait dans un même temps qu’un style nouveau, plus actuel, lui soit offert. Pour y parvenir, les nouveaux dirigeants, incarnés par Noam Perakis et Céline Rey, ont réfléchi au concept de l’improvisation. Une expression artistique non pas nouvelle puisqu’elle a fait son apparition il y a une trentaine d’années, mais qui rencontre maintenant l’enthousiasme d’un large public. L’idée était lancée, il ne restait qu’à la concrétiser! C’est ainsi que la revue a ajouté un terme à sa dénomination en devenant «improvisée». Et c’est donc aussi la raison pour laquelle chaque représentation est unique, offrant en même temps une première et une dernière à son public, puisqu’aucune d’entre-elles n’est, ni ne sera, identique et que les comédiens évoluent sur des idées suggérées, en totale interaction avec les spectateurs, manifestement heureux et enthousiastes de pouvoir ainsi participer directement à l’exercice. Un travail de haute voltige, mêlant humour et dérision, et qui requiert un grand professionnalisme de la part des artistes! Certaines suggestions d’actualité, de sport, de politique, reviennent bien entendu régulièrement, mais d’autres sujets parfois très surprenants et totalement inattendus, voire incongrus, sont proposés et c’est là aussi que réside tout le talent des acteurs.
Des équipements adéquats
Et les installations du théâtre de Servion offrent un support de grande valeur aux metteurs en scène grâce à un équipement à la pointe de la technologie avec notamment son plateau tournant, ses trappes hydrauliques, ses 17 mètres de profondeur de scène, ses installations de sonorisation et de lumières, ainsi que 80 mètres carrés d’écrans géants permettant la projection appropriée et instantanée de spectaculaires effets visuels et de décors virtuels, choisis parfois sur le vif, afin de les associer aux situations. Une technique par ailleurs très exigeante pour tous les techniciens, qu’ils soient de plateau, de son ou d’éclairage, et qui requiert là aussi de grandes qualités de réaction et d’improvisation. Mais le théâtre de Servion, c’est aussi des centaines de costumes, d’accessoires, dont un grand nombre placés pour la circonstance à portée de main des improvisateurs, le temps imparti pour leur préparation restant naturellement très limité.
Un subtil mélange de tradition et de modernité
Mais les nostalgiques de l’ancienne revue ne sont pas oubliés. Ils retrouveront avec bonheur des scènes qui ne sont, elles, pas improvisées: les magnifiques et talentueuses danseuses, les chants, les musiciens, viennent habilement s’intégrer, s’imbriquant parfaitement aux excellents moments d’improvisation. Tous ces éléments réunis contribuent sans aucun doute au succès de la revue «nouvelle formule» concrétisant ainsi l’adroite idée de pouvoir offrir simultanément tradition et modernisme. Infos: www.barnabe.ch
La grande Revue improvisée vous est présentée jusqu’au 9 février 2019. Ne tardez pas à réserver. Dates, horaires et tarifs sur le site du théâtre.
La Revue improvisée c’est :
Au générique
Direction artistique et mise en scène: Noam Perchis – Assistant metteur en scène: Xavier Alfonso – Direction vocale: Céline Rey – Concept: Benjamin Cuche, Sarkis Ohanessian, Noam Perakis et Xavier Alfonso – Chorégraphies: Gilles Guenat – Création lumières: Jean-Marc Tinguely – Vidéo: 15prod.ch
En scène
Présenté par: (en alternance) Ohanessian et Benjamin Cuche – Les improvisateurs: Marion Jenec, Florance Wavre, Xavier Alfonso, Julien Opoix, Dorian Sönmez, Julien Sonjon, Fabrice Semedo et Barnabé. – Danseuses: Clarissa Crivelli, Celia Olive, Loren Munoz et Carole Pihen – Chanteurs : Tyssa, Didier Coenegracht

photographie sous copyright © michel dentan photographies – Michel Dentan (Suisse)
L’interview ”

MD | A l’issue du spectacle, Benjamin Cuche a bien voulu accorder un interview à notre journal, ce dont nous le remercions (faut-il préciser que l’entretien, que nous résumons, a été émaillé de nombreux moments de rires !)
Le Courrier : Vous avez débuté l’impro en 1984, à 17 ans, après des débuts au théâtre à l’âge 11 ans. Cela fait maintenant 34 ans que vous vous êtes spécialisé dans l’impro. Qu’est-ce qui vous plaît tout particulièrement dans cette expression artistique?
Benjamin Cuche : J’avais 11 ans et je savais que comme métier, j’avais envie d’être heureux. J’ai eu la chance de monter sur la scène du théâtre villageois. C’était une superbe expérience pour moi. A la fin, tu te fais applaudir par le laitier, par le cantonnier, par des gens que tu crains normalement. Ils te disent «merci» et «bravo» et tu te sens alors très valorisé. Par la suite, quand je voulais faire du théâtre, mon père n’a plus voulu et m’a demandé de faire un CFC. A côté de mes heures de boulangerie, je me passionnais toujours pour le théâtre et faisais des stages, des cours, de tout ce que je pouvais faire. C’était l’époque de l’arrivée de l’improvisation, avec des matches. Cela venait du Québec. L’improvisation a ensuite gagné ses lettres de noblesse et elle se faisait sous de nombreuses formes. C’est maintenant entré dans les théâtres dont plusieurs mettent des impros à leurs programmations.
LC : Comment peut-on être prêt à improviser? Je suppose qu’il faut investir chaque jour beaucoup de temps pour prendre connaissance de l’actualité, des infos, des faits divers, avoir une ouverture d’esprit très large, afin d’être à même de maîtriser pratiquement tous les sujets qui pourront vous être demandés? Un exercice très difficile dans lequel vous excellez.
BC : A la Revue improvisée, l’une des missions des comédiens est de regarder les infos tous les jours. Et non seulement de savoir ce qui s’est passé, mais de suivre l’évolution de celles-ci. Après, c’est de savoir comment l’on peut s’amuser avec cela, de comprendre comment on peut «goriller» l’info, comment on peut gentiment s’en moquer, comment on peut la détourner. L’improvisation ressemble un peu au sport. Si on regarde une équipe de foot, elle ne va pas répéter, mais elle va s’entraîner. Donc on s’entraîne, on développe un certain nombre de compétences qui nous permettront de savoir comment faire avec des mots qui arrivent du public, qu’est-ce qui va faire rire, à quels moments il faut placer les mots, etc. Ce que nous aimons faire lorsque nous improvisons, c’est réinventer à chaque fois. Il faut évidemment préparer certaines choses par rapport aux sujets d’actualité. Là par exemple, nous avions préparé tous les gilets jaunes!
LC : Nous avons beaucoup apprécié les scènes des diverses petites parties de films sur lesquelles les comédiens viennent plaquer des phrases en fonction des thèmes demandés auparavant par les spectateurs, par exemple ce soir sur une scène du film «Autant en emporte le vent». Un exercice qui paraît hautement difficile.
BC : Oui, effectivement. Il faut une très grande concentration. Il faut bien sûr connaître les scènes, mais ensuite placer les répliques en fonction des thèmes demandés, articuler en fonction du mouvement des lèvres des acteurs des films, il faut bien écouter ce que l’autre comédien a dit parce que l’on va devoir y répondre. C’est effectivement un exercice de concentration hautement difficile. Bien entendu, les scènes que nous proposons au choix des spectateurs sont des parties de films qui se prêtent à ce genre d’exercices.
LC : Ce genre de spectacle est certainement à même d’attirer un nouveau public.
BC : Alors effectivement. Noam (ndlr. Perakis, directeur du théâtre) a su apporter quelque chose de très original, tout en conservant la continuité. Parce qu’il y a un réel changement et en même temps, dans la forme, on peut mettre des chorégraphies, etc. Il fait une grande confiance à ce genre de spectacle. Car sinon l’on n’a jamais l’occasion d’improviser dans de telles conditions, avec des costumes, des décors, des accessoires, etc.
LC : Vous arrive-t-il d’être vous-même surpris par le déroulement de vos impros qui n’est peut-être pas tout-à-fait conforme à ce que vous aviez prévu, même si, par définition, rien ne devrait être prévu.
BC : Plus on prévoit et plus on improvise! C’est comme lorsque l’on part en vacances et que l’on a tout prévu: il arrive forcément des moments où il faut improviser lorsque par exemple l’hôtel que l’on a réservé n’a pas réservé, etc.!
LC : Comment parvenez-vous à gérer toutes les activités que vous exercez? Parmi lesquelles vous dirigez encore en plus votre école de spectacle Lafabrik Cucheturelle à Vevey.
BC : On a une vie un petit peu trépidante! J’ai déjà fait une demande pour qu’ils rajoutent un jour dans la semaine mais… Deux heures de plus dans la journée cela aurait déjà été bien! Des fois, je suis obligé de les prendre sur la nuit! Non, nous on travaille beaucoup. C’est un métier comme cela. Soit on a faim, soit on est fatigué! Souvent, on met en marche plusieurs projets en même temps parce que l’on sait qu’ils ne vont pas tous marcher. Mais parfois, il y a en a plus de quatre qui marchent en même temps…
LC : Si vous deviez vous-même improviser les questions de cet interview, quelle serait la question que vous aimeriez vous poser à vous-même?
BC : Alors je ferai comme on fait tous. On commence avec une toute petite chose et on regarde comment cela s’oriente. On fait tous cela dans la vie! On dit «Salut, ça va?». Et suivant ce que l’autre répond, on peut développer ou valoriser sa réponse. L’improvisation c’est un peu cela. Car si l’on commence avec de grandes choses et que l’on a beaucoup d’attentes, on est souvent déçu. Après, il suffit juste de s’intéresser à la réponse et même dans un ascenseur, on peut parler de grandes choses… lorsqu’on arrive au 12e !