Vevey – Le grand Courbet fut aussi un remarquable dessinateur
Musée Jenisch, jusqu’au 2 février 2020

Pierre Jeanneret | Gustave Courbet (1819-1877), républicain, opposant au Second Empire, anticlérical, forte personnalité à certains égards gargantuesque, est célèbre comme peintre. Qui ne connaît Un Enterrement à Ornans ou L’origine du monde, tous deux au Musée d’Orsay? En revanche, le dessinateur était resté méconnu. A l’occasion du deux centième anniversaire de la naissance de l’artiste, le Musée Jenisch rend justice à cet aspect de son œuvre. Cela en collaboration avec le Musée Gustave Courbet à Ornans, dans sa Franche-Comté natale, et avec le concours de plusieurs autres institutions muséales.

L’exposition s’articule de manière thématique, et en partie chronologique. On peut en effet suivre l’évolution de son art, de son enfance à son exil à La Tour-de-Peilz en 1874, suite à la commune de Paris de 1871 et à sa répression. Courbet fut en effet condamné à une énorme amende, car on l’accusait d’avoir incité au renversement de la colonne Vendôme. On ne manquera pas de s’arrêter devant son magnifique autoportrait L’Homme à la pipe (après 1849), qui date de ses années de bohème à Paris. Il contraste avec celui de 1871, où apparaît un Courbet vieilli, enclin à l’obésité et rendu amer par la traque dont il est l’objet. Signalons aussi le délicat portrait intitulé La lecture, où il a probablement représenté sa sœur Zélie, déjà marquée par la maladie qui l’emportera. Curieusement, celui qui deviendra le champion du réalisme et du naturalisme en peinture fut fortement influencé par le romantisme, comme le montre bien son dessin au fusain Les Amants dans la campagne. On perçoit aussi l’influence des grands maîtres hollandais, que le jeune Courbet avait observés au Louvre. Certains dessins exposés sont des œuvres en elles-mêmes, d’autres des travaux préparatoires. Parmi ces derniers, on prêtera une attention particulière à l’ébauche au fusain sur papier d’Un enterrement à Ornans, qui diffère du grand tableau final: les participants à ces obsèques villageoises apparaissent encore comme assez «bourgeois», avec leurs chapeaux haut-de-forme, avant d’acquérir ces trognes de paysans rougeauds qui feront scandale au Salon de 1850-1851! Tous les thèmes de Courbet sont présents dans l’exposition. On y trouve donc aussi des œuvres «engagées» qui se ressentent de ses idées socialistes, comme Le jeune casseur de pierre (1865) ou la série créée pour le livre Le Camp des bourgeois, que l’on voit fort satisfaits d’eux-mêmes. Et bien sûr les paysages de Franche-Comté, à laquelle l’artiste était si attaché. Le dessin La source de la Loue n’est-il pas une métaphore de la féminité? Autre thème important chez lui: les scènes animalières et de chasse. Enfin l’exposition présente ses travaux préparatoires pour le buste Helvetia, «Hommage à l’hospitalité suisse» offerte au proscrit. Mais cette sculpture faisait aussi partie d’une stratégie pour se faire connaître et vendre. Gustave Courbet, tout au long de sa carrière, fut aussi un maître dans sa propre promotion! La présentation de ses dessins à Vevey est complétée par quelques huiles, dont un sanglant Coucher de soleil sur le Léman (1874), qui a certainement influencé François Bocion, et la puissante toile La Vague, présente dans la petite collection permanente, que l’on ne manquera pas de revoir.
«Courbet dessinateur», Vevey, Musée Jenisch, jusqu’au 2 février 2020.
