Petite enfance
Enfin des solutions pour soulager les crèches ?
L’État change de fusil d’épaule pour mieux collaborer avec les acteurs du secteur. Enquête.

Avant la naissance de son fils en 2017, Bertrand* n’aurait jamais imaginé rencontrer autant de difficultés pour trouver une place de crèche. Pour cet habitant de Pully, son expérience avec le système des réseaux d’accueil publics est un échec. S’il savait que la situation n’était pas optimale, jamais il n’aurait pensé devoir attendre près de trois ans avant qu’une éventuelle place se libère : « On nous a demandé d’être patients tout en nous rappelant que sa place n’était pas garantie », se remémore le jeune papa. Le problème c’est que Bertrand et sa femme travaillent à plein temps : « On nous a bien proposé une solution, mais je ne crois pas que mon employeur m’aurait autorisé à travailler uniquement le mardi de 9 à 11 heures », informe Bertrand avec ironie.
Loin d’être un cas isolé, la famille de Bertrand se tourne d’abord vers des mamans de jour (accueillante en milieu familial) avant d’opter pour une structure privée. Si leurs finances ont permis d’assumer ce choix, d’autres parents se retrouvent dans une situation d’urgence organisationnelle.
Ce ne sont pas les enfants qui posent problème, mais les parents
Marielle, maman de deux enfants
C’est le cas de Marielle* qui n’a pas eu d’autre choix que de quitter son emploi pour assumer la garde de ses deux enfants. Pour elle, les parents ont aussi leur part de responsabilité dans la situation actuelle : « Ce ne sont pas les enfants qui posent problème, mais les parents. C’est eux qui demandent d’augmenter la sécurité sur le chemin de l’école, c’est eux qui exigent du personnel surqualifié, générant ainsi une pénurie de professionnels et une augmentation des coûts », ironie du sort, Marielle était éducatrice de la petite enfance.
L’Association suisse des structures d’accueil de la petite enfance a dressé en avril dernier un constat de ce problème sociétal. Une enquête révèle que les pressions subies par les personnes évoluant dans le domaine : « Faute d’encadrement suffisant, la qualité pédagogique baisse », informe le rapport.
Du côté des syndicats, la situation n’est guère mieux. En 2021, le SSP (syndicat des secteurs publics et parapublics) a questionné 700 employés de crèche afin d’établir un bilan sur leur état de santé : « Près de 80 % se sentent stressés au travail, tandis que près de la moitié souffrent de troubles du sommeil et que 40 % envisagent de changer de travail ».
Parents entreprenants
Suite à la forte demande et à l’urgence de désengorger les listes d’attente, certains parents ont décidé de créer leur propre structure d’accueil. C’est le cas de Sophie Haldemann qui fonde en 2019, Ô petits soleils à Pully : « J’ai décidé d’ouvrir cette crèche privée en premier lieu pour mon fils ». Trois ans plus tôt, après avoir vérifié la liste d’attente sur laquelle se trouvait son enfant, elle apprend que celle-ci est de deux ans et demi et qu’à l’heure actuelle elle est passée à 4 ans. « Peu importe s’il s’agit du secteur privé ou public, toutes les structures sont saturées ».
Peu importe s’il s’agit du secteur privé ou public, toutes les structures sont saturées
Sophie Haldemann, fondatrice d’une structure d’accueil
Montant alors un projet de toute pièce, elle se retrouve confrontée aux exigences cantonales. Pour elle, le manque de collaboration entre canton, communes et entrepreneurs représente un frein quant à la création de nouvelles structures : « Nous nous sommes heurtés à des normes qui sont obsolètes par rapport aux besoins de la population et qui ne sont plus en phase avec notre société. Ne faudrait-il pas mettre en place une commission où chaque acteur du domaine également issus du terrain est représentés afin de trouver des solutions concrètes ? », questionne l’entrepreneuse.
Avant qu’une nouvelle crèche ne puisse ouvrir ses portes, l’Office de l’accueil de jour des enfants (OAJE) vient contrôler l’application des normes cantonales. Jusqu’ici rien d’anormal, mais pour Sophie Haldemann, l’intervention de l’OAJE arrive trop tard : « Les autorités ne se déplacent pas avant d’avoir un dossier complet, cela sous-entend avoir effectué tous les travaux nécessaires de mises aux normes sans garantie que ceux-ci soient validés par l’organe de contrôle. Le tout, alors que nous n’avons pas encore encaissé un seul sou ».
Si certaines structures d’accueil sont prêtes à accueillir les enfants, la lenteur administrative en retarde l’ouverture. Résultat des courses, des frais supplémentaires pour les porteurs de projets liés à la location d’un lieu sans possibilité d’exploitation.
Des frais dont elle se serait bien se passer : « C’est un peu le serpent qui se mord la queue, une collaboration en début de projet pouvant donner lieu à un préavis favorable ainsi que la délivrance d’une autorisation provisoire comme en bénéficient les accueillantes en milieu familial serait déjà une piste à explorer. Car nous œuvrons tous pour le même objectif : le bien-être des enfants, de nos collaborateurs et la conciliation vie professionnelle et vie privée des familles ».
Nouvelle politique pour soulager le secteur
« La difficulté à trouver du personnel qualifié est liée à la forte demande qui découle du développement de l’offre d’accueil », explique Valérie Berset, cheffe de l’Office de l’accueil de jour des enfants (OAJE). Pour pallier à cela, les autorités cantonales ont décidé de revoir leur copie : « Depuis 2019, nous avons assoupli les normes en matière d’encadrement préscolaire ». L’objectif est d’équilibrer la part des éducateurs formés dans une école supérieure (ES), et celle des assistants socio-éducatifs formés en institution (CFC).
Auparavant, il était nécessaire pour chaque crèche d’avoir deux tiers du personnel émanant d’une école supérieure. Aujourd’hui, c’est du 50/50, mais les structures préscolaires doivent posséder 80 % de personnel formé. Le 20 % restant peut être destiné à des personnes n’ayant pas de formation dans le secteur de l’enfance. On pourra par exemple y retrouver des parents ou des personnes souhaitant se former ultérieurement.
Une nouvelle mesure est entrée en vigueur depuis le premier septembre de cette année
Valérie Berset, cheffe de l’Office de l’accueil de jour des enfants
Si ce coup de pouce a soulagé le secteur, la responsable de l’OAJE constate que cela ne sera pas suffisant : « Une nouvelle mesure est entrée en vigueur depuis le premier septembre de cette année ». Il s’agit de reconnaître au même titre les personnes possédant un CFC d’assistant socio-éducatif dès lors qu’elles débutent une formation complémentaire pour se perfectionner en école supérieure. Toutefois, malgré ces assouplissements, les éducateurs ES restent une denrée rare.
Le canton mène actuellement une réflexion pour éventuellement ouvrir plus de classes destinées à former les éducateurs spécialisés de demain : « Les réseaux d’accueil sont d’ores et déjà informés quant à ces idées d’amélioration ».
Collaborer pour le bien de tous
Si en raison du développement démographique tous les cantons subissent le phénomène de liste d’attente interminable et de pénurie de personnel, ils cherchent tous à améliorer le secteur. De manière générale, les cantons suisses alémaniques s’en sortent mieux, en suivant le modèle allemand : « Lorsqu’il y a une naissance ou lorsqu’une famille déménage, une place dans une crèche est garantie, vu que les citoyens paient des impôts pour cette prestation », conclut Bertrand, qui possède de la famille dans le pays de Goethe.
*noms d’emprunts