Chexbres: tous les trois ont fêté leurs 90 ans. Bravo !
Marta Ullmann
Pierre Dominique Scheider | C’était dimanche 28 janvier dernier, dans son coquet appartement de Fleur de Lys, à Chexbres. Marta est née au sud de l’Espagne, avec ses trois sœurs. Leur enfance est marquée par les atrocités de la guerre civile espagnole. «On se battait entre frères. La guerre sévissait au cœur même des familles.» Son papa était ingénieur, de nationalité suisse, la maman femme au foyer. Une première fois, ils vinrent en Suisse allemande, fuyant la guerre civile. Mais les guerres se suivent et se ressemblent. Ils vécurent la Seconde Guerre mondiale en Tunisie, où s’affrontaient Français, Allemands, Italiens, Anglais et autres nationalités. «Mais nous, gens du peuple, on s’entendait avec tout le monde! Loin des idéologies mortifiées!» La guerre finie, la famille émigra à Genève, où Marta se forma et travailla comme infirmière auprès des enfants. Elle «mit au monde» des centaines d’enfants. Durant plus de trente ans, Marta se dédia entièrement à son travail, oubliant même de se marier et de fonder une famille. «C’était la consigne de l’époque: travailler, travailler. Maintenant, je me dis que c’était exagéré. La vie d’abord, le travail ensuite! dirais-je aujourd’hui.» Heureusement, il y a ses nièces et ses neveux, qui eux-mêmes enfantèrent de charmants enfants, dont les photos illuminent la bibliothèque. Bibliothèque habitée de l’esprit de Cervantès, de Neruda ou de Tchekhov. Marta aime lire et écouter de la musique. Liszt, Beethoven l’enchantent. «Je suis arrivée à Chexbres en 1977, car ma sœur s’y était établie. J’aime vivre et me promener dans cette magnifique région!» Quelques bibelots perchés sur les meubles, comme des oiseaux de bon augure, témoignent d’une vie bien remplie au service des autres. «Le travail c’est la santé, rien faire c’est la conserver!» Nous fredonnons ce refrain d’Henri Salvador en nous quittant, avec en prime un beau sourire de cette belle nonagénaire.
Willy Cottier
C’était le 6 février dernier. Né à Missy il est le neuvième de douze enfants. Le papa était ouvrier et petit paysan. «On vivait de peu, mais on n’a jamais eu faim!» Maman voulait un bon métier pour chacun de ses enfants. Willy fut d’abord porteur de pain, à Bienne. Il fit ensuite un apprentissage de meunier, mais entra finalement aux CFF, en 1948. Il se maria en 1952, avec Mariette, souriante couturière venant de Belgique. Ils auront trois filles, dix petits-enfants et… le septième arrière-petit-enfant est en route ! En 1960, Willy postula à Chexbres, où il s’établit et travailla pendant vingt et un ans. «La place de la gare était pleine de vie.» Mais on n’arrête pas le progrès: on installa le premier automate. Le shérif Willy alla aussitôt ôter les fusibles du robot, obligeant ainsi les clients à acheter leurs billets au guichet… comme il se doit! Car Willy et Mariette ont toujours vécu sans auto, sans télévision et sans informatique, échappant ainsi aux trois grands fléaux de la modernité. Après une dernière escale professionnelle à Puidoux, arriva le temps de la retraite, il y a vingt-huit ans. Willy aime lire, notamment «Les Lettres de mon moulin»! On n’est pas meunier pour rien. Il a longtemps chanté avec la chorale du Forestay, qu’il quitta en beauté en participant à la magistrale Messe pour la Paix, ici-même, au temple de Chexbres. Une autre passion animait le couple: le vélo. Une idée de Mariette. Les vélos mis au train, c’était le grand départ chaque année pour des vacances de rêve sur les routes de la douce France. Willy a fait trois législatures au Conseil communal. On lui doit la passerelle côtoyant le pont ferroviaire de Chexbres. Aujourd’hui Willy se rend bénévolement, en voisin, à l’EMS de la Colline pour visiter les résidents. «On est remercié par leurs sourires!» Il y aime aussi les thés dansants, avec tangos-tintébins. Tant d’heureux moments à savourer, car la vie, comme les CFF, «Ça Fa Fite»! Alors bon voyage encore, cher Monsieur Cottier, au pays de la vie que vous savez si bien mener!
Roger Barbey
C’était le 5 février dernier. Tous ses aïeux, de 1384 à aujourd’hui, se réjouissent avec lui. Roger est en effet un des sarments de ce cep familial enraciné à Chexbres depuis des siècles, et peut-être même relié aux temps bibliques où Noé a planté la première vigne! Oui, Roger est vigneron. Il a développé judicieusement les petits arpents de la famille. Papa était par ailleurs employé de banque. «Il ne savait pas planter un clou, alors j’ai pris la relève. J’ai la mécanique et l’électricité dans les doigts. Ce qui m’a permis de moderniser et d’agrandir petit à petit le domaine. Maintenant, après un partage harmonieux, à l’amiable, le petit-fils gère drôlement bien l’affaire.» Roger a aussi été opérateur au cinéma de Chexbres pendant quarante ans. Même qu’une de ses filles est née le jour d’une projection. Roger a néanmoins répondu présent et le village a pu se payer une toile, avant de trinquer au bébé. A l’époque, le père n’était pas invité en salle d’accouchement: il fumait des Brunette dans la salle d’attente! Roger a présidé la Société de tir durant vingt ans, siégé au Conseil communal pendant trente ans et officié comme lecteur à l’église et comme secrétaire du Conseil de paroisse. Madame Cécile, sa femme, couturière, l’a toujours secondé avec classe et générosité dans toutes ces activités. Mais en 2006, grande frayeur. Le vigneron s’effondre. Artères bouchées. Même que le cœur s’arrête. L’équipe du 144 débarque en urgence. L’électrocardiogramme est plat. Les infirmiers lui sautent dessus et le raniment énergiquement. «C’est reparti pour vingt ans», lui dit le chirurgien après la pose de trois pontages. On déguste, pour terminer l’entrevue, un St-Saph du domaine. Puis il me fait visiter la cave, toute moderne. Tout est propre et fonctionnel. Sauf – cherchez l’intrus – la batterie d’orchestre de l’arrière-petit-fils, qui trône là. Là où il y a beaucoup d’amour pour l’autre et pour ce coin de pays. Roulez tambours! Roulez
jeunesse! L’avenir est encore plein de promesses!