CINEDOC -Le rendez-vous documentaire des cinémas romands
Une vedette de cinéma dans le val d’Hérens

La caméra des deux réalisateurs français, Claudine Bories et Patrice Chagnar,d est allée sonder le rapport de l’homme à l’animal dans le val d’Hérens, là où les vaches sont reines. En ressort un documentaire poétique et politique, permettant de revisiter en douceur notre lien au règne animal.
Réalisateurs cow-sitter
Vedette est une reine du val d’Hérens. Elle a même été la reine des reines à l’alpage. Le film la capture cependant dans ses dernières années, alors que son état ne lui permet plus de concourir. Entourée par deux éleveuses sensibles, la vache vieillissante semble aussi triste que ces deux femmes. La situation les pousse à laisser Vedette chez des baby-sitters pour l’été, qui ne sont autres que nos deux réalisateurs.
Du plan large au gros plan
Par le cas concret et singulier du val d’Hérens, un endroit où le bétail est traité bien différemment d’ailleurs, il s’agit de questionner le lien global de l’homme à l’animal. Ceci passe par un film proposant de changer le regard de son public de manière progressive. Tout commence ainsi par des plans larges de vaches à l’alpage, ornées de numéros qu’on leur peint sur la peau pour les identifier. De loin, une vision du troupeau. Graduellement cependant, la caméra se rapproche d’une vache et de ses deux éleveuses, jusqu’à arriver à une interview face caméra qui permet de saisir ce que Vedette représente pour elles. C’est ce point de vue, ensuite, que le documentaire développe en faisant de Vedette un véritable personnage de cinéma.
Descartes à la grange
Baby (ou cow)-sitter provisoire de Vedette, Claudine Bories entre dans la trame narrative, par la voix d’abord, pour évoquer la peur qu’elle a de l’énorme animal. Sa posture relaie celle du public, en lui permettant de s’identifier dans le film à un personnage externe au monde de l’élevage. Entrant ensuite dans le champ, elle s’attelle à apprivoiser l’animal par des mises en scène aussi comiques qu’évocatrices. La réalisatrice parvient ainsi à rendre sa singularité à un animal en lui lisant des textes tels que la théorie de l’animal-machine de Descartes. Le film progresse dès lors avec humour et intelligence dans cette individuation du personnage, qui correspond aux changements de perception que les réalisateurs décrivent avoir eux-mêmes vécus.
Droit à la parole, droit à l’expression
Ces plans d’une réalisatrice française faisant la lecture à une vache valaisanne qui fait trois fois sa taille dans une grange sont aussi saugrenus que pertinents. On lit fréquemment la différence fondamentale entre l’homme et l’animal dans le rapport au langage. Cet écart entre le mode d’expression humain et celui des bêtes pose aussi la question du type de communication possible entre les deux types d’êtres vivants. Dans ces séquences, on perçoit ainsi les tentatives attendrissantes d’une réalisatrice cherchant à apprivoiser sa protagoniste par le mode d’expression qu’elle connait. Vedette, quant à elle, use du sien pour lui répondre. Les questionnements éthiques et globaux que relaient le film quant au spécisme sont ainsi directement représentés par ces séquences où la réalisatrice essaie de tisser un lien de confiance qui permettrait à Vedette de signifier d’une manière ou d’une autre qu’elle est d’accord d’être filmée, un enjeu fondamental de l’éthique du documentaire. Par sa forme comme par son fond, Vedette est dès lors un film intelligent et pertinent.
« Vedette »
de Claudine Bories et Patrice Chagnard
France, 2021, 100’
VF, 8/12 ans
Vendredi 21 octobre, à 20h30, au cinéma de la grande salle de Chexbres. En présence des cinéastes
