Cinéma – « Une histoire à soi » d’Amandine Gay
Destins d’enfants

Charlyne Genoud | Anne-Charlotte, Joohee, Céline, Niyongira et Mathieu ont entre 25 et 52 ans, sont originaires du Brésil, du Sri Lanka, du Rwanda, de Corée du Sud ou d’Australie et partagent un pan de leur identité, à savoir celui de personne adoptée ayant grandi dans une famille française. Amandine Gay tend son micro à ses protagonistes dans un film d’archives leur permettant de raconter leur propre histoire, le premier film distribué par CinéDoc.
Images et sons
Le premier cri d’Une histoire à soi est une chanson, celle que chante Niyongira en kinyarwanda (langue nationale du Rwanda) dans l’une des archives qu’il a retrouvée chez sa mère. Un long extrait d’images d’archives télévisuelles, qui parlent de l’adoption, surgit ensuite, relayant la vision des années 50 de ce procédé vu alors comme une solution pour éviter l’avortement. Les premiers témoignages audios de personnes ayant été adoptées s’entament ensuite, pour donner le ton à un film s’organisant autour de leurs vécus. A l’image, ce ne seront que des archives: des photographies et des dessins d’enfant, permettant à ses voix d’illustrer leurs récits par des souvenirs tangibles. Si la voix-over répond souvent assez directement au contenu visuel, des instants où l’écart se fait plus grand permettent au spectateur de poétiquement et librement lier images et sons.

Un film à soi
Le titre rappelle celui de l’œuvre Une chambre à soi de Virginia Woolf de 1929, un essai qui interroge les conditions pour qu’une femme puisse devenir artiste, une question transposable à toute minorité comme le rappelle Amandine Gay. Il s’agit ainsi de se demander comment se réapproprier sa propre histoire, devenir maître de son récit passé pour en saisir les enjeux présents, et en déterminer les lignes de force. Les dessins viennent dans ce contexte relayer le propos du film ainsi que le dispositif sonore en intégrant du passé dans le présent, et en prenant en compte la vision des enfants dans le récit des adultes : restituer leur perception du monde par ces traits aux feutres colorés. De même que les dessins permettent de contrer le peu de poids traditionnellement octroyé aux paroles enfantines, le refus d’une voix-over pour son film empêche la narration de surplomber les témoignages. Ces témoignages audios imposent ainsi leurs propres fils narratifs et leurs vécus intimes, sans que soit nécessaire aucun entretien face caméra : ce ne sont que des voix et des souvenirs. Or l’histoire d’une personne adoptée s’écrit souvent à l’âge adulte, puisque la maturité donne accès au dossier d’adoption, et permet de décider si l’on veut connaître ses parents biologiques ou non. Le film se concentre dès lors uniquement sur des adultes à même de se raconter. Amandine Gay, en entretien avec Pénélope Baguieu, bédéiste et artiste engagée précise « Il y a un parallèle intéressant : les conditions matérielles, avoir un espace à soi et un peu d’argent, sont les mêmes pour devenir écrivaine ou pour te réapproprier ton histoire en tant qu’adoptée. »



Amandine Gay
Aux racines de cette histoire, il y a une femme :
Amandine Gay, qui a vécu un destin similaire puisqu’elle est elle-même née sous X. Suite au suicide d’un proche adopté, la réalisatrice afro-féministe décide de questionner comment faire famille dans ce genre de contexte, et parle entre autres du mythe du sauveur en sous-texte de « Une histoire à soi ». Les images du milieu du XXe siècle qui ressurgissent ainsi à certains instants du film révèlent au public de « Une histoire à soi » le mythe fondateur de l’adoption, basé sur une forme de néo-colonialisme.
Pour le choix des cinq protagonistes du documentaire, Amandine Gay a rencontré nonante-trois personnes. Il lui fallait des gens en lien avec leurs familles, ayant accès à leurs archives et stables, permettant de construire le propos politique qui lui tenait à cœur.
Par ces témoignages intimes, la réalisatrice propose un véritable tour d’horizon de l’adoption à l’international.