Cinéma – Chroma, de Jean-Laurent Chautems
Pour tromper sa solitude, Claire se met en tête de séduire Alain, son voisin aux étranges phobies

Charlyne Genoud | Son film, le réalisateur suisse le décrit comme «une histoire d’amour, une fiction où l’imaginaire et le rêve sont omniprésents, un récit allégorique d’apparence réaliste, mais qui se décale petit à petit pour prendre une dimension onirique». Présenté aux journées de Soleure cette année, sa sortie en salle la semaine prochaine permet de découvrir un film aussi étrange que passionnant.
L’amour est un théâtre
Claire, une jeune femme dans la vingtaine, emménage dans un appartement à Genève. De là, elle se met à observer la vie de ses voisins le soir, installée confortablement sur son canapé, à fumer et à écouter de la musique. Le jour, le film la montre en train de suivre des cours de sémiotique à l’université. Cette science des signes est ainsi représentée dans le long-métrage par des analyses de Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Son enseignant explique ainsi que « l’amour est un théâtre ». Chez Barthes, l’amour divertit et chasse l’ennui. Chez Claire, l’actio du voisinage se transforme en amour obsessionnel. Analyse-t-elle donc le langage non verbal de ses voisins en les observant avec sa propre bande sonore, à distance ? A ce stade, l’amour qu’elle développe pour son voisin semble être un ballet. Depuis le balcon, elle observe ainsi les agissements parfois étranges de ses voisins, en particulier de l’un d’entre eux : Alain.
Entrée sur scène
Petit à petit, la jeune femme désennuyée fait son entrée sur la scène, par des objets d’abord. En effet, elle se met à déposer des paquets sur le palier de ses voisins d’en face, s’incrustant par ces métonymies d’elle-même directement dans leurs logis. L’incruste est vue comme telle; les paquets lui seront reprochés à l’acte suivant. Car, quand les paquets ne lui suffisent plus, et qu’elle tente d’engager le dialogue avec Alain, elle subit son rejet.
Pi est une ressource infinie
Alain apparait ainsi comme un cas d’étude particulièrement intéressant pour cette étudiante, quoiqu’elle développe un lien bien au-delà du professionnel avec lui. Le jeune pianiste a des troubles obsessionnels compulsifs qui le font agir de manière particulièrement intense. Obsédé par la couleur verte et le danger qu’il voit en elle, il se gratte les avant-bras en récitant le chiffre pi à chaque fois que sa peau entre en contact avec du vert. Le chiffre infini est une ressource sans borne, et dans les situations de crise qu’ils traversent ensemble, Claire se met elle aussi à le réciter. Ces vociférations rapides et nerveuses, ces angoisses existentielles présentes chez l’un et l’autre des personnages fonctionnent ainsi main dans la main avec le montage rythmé, demandant au public de faire des associations rapides au-delà des coupes. Le film de Jean-Laurent Chautems semble ainsi aussi passionnant et complexe, qu’insaisissable.

