Cinéma – Les mondes possibles des utopies communautaires
Au cinéma d’Oron dès le 28 septembre, première en présence du réalisateur le 1er octobre à 20h.

Charlyne Genoud | Avec son documentaire Nos utopies communautaires, le réalisateur suisse Pierre-Yves Borgeaud réunit des voix fortes de leurs différentes expériences de vivre-ensemble. Un collage polyphonique qui fait rayonner les alternatives possibles au quotidien individualisé.
Coller des modes de vies alternatives
Raconter les alternatives possibles aux habitudes de logement traditionnels ne se fait pas sans une conscience profonde de la variété des modes de vies possible. Pour présenter une alternative authentiquement, il semble donc qu’il faille en présenter une multitude. C’est ce que semble avoir compris le réalisateur à un stade primaire du développement de son film. Le choix de ses trois protagonistes fonctionne ainsi comme trois pôles, permettant de s’assimiler à l’un ou l’autre des personnages animant Nos utopies communautaires. L’affiche du film annonce sa couleur : le nouveau documentaire de Pierre-Yves
Borgeaud est un collage de vécus individuels de la collectivité.
Au lendemain de mai 68
C’est aussi l’histoire de ce que l’on voit fréquemment comme un mouvement déchu; les utopies soixante-huitardes sont montrées ici dans ce qu’elles initient encore dans la société actuelle. Les images d’archives sont ainsi arrimées à des interviews contemporaines, permettant de voir le présent comme le passé des trois protagonistes que le documentariste a choisi de représenter. Par ce biais, il parvient à relayer les parcours atypiques de personnes ayant vu – et qui continuent de voir – la communauté comme un moyen de résistance après mai 68. Parce qu’il choisit ses protagonistes comme on choisit des images à coller, c’est-à-dire en pensant aux contrastes, contours et superposition, le film parvient à mettre en relief des avis et des idées très différentes. Ceci se lit par exemple dans le choix affirmé du réalisateur romand de franchir le röstigraben, en plaçant côte à côte la Zurichoise Maya Schwan au couple vaudois Pouly, et à l’auteur suisse-allemand Hans Widmer. Sur la scène du cinéma Kosmos, lors de l’avant-première zurichoise du film, le micro est passé de Hans Widmer à Maya Schwan. Il a développé des concepts urbanistiques pour penser la communauté, elle l’a vécue pour le meilleur et pour le pire dans les années 70 avec la communauté « Aktionsanalytische Organisation » (AAO). Le passage de micro semble houleux tant leurs points de vue sont différents. En live, l’occasion est ainsi donnée au public de saisir le choix audacieux effectué par le réalisateur pour rendre la perspective des vécus individuels qu’il tente de retracer. A l’image d’une communauté fonctionnelle, son film fait dès lors exister des points de vue dissonants, tout en relevant leur acuité par leur juxtaposition.
Comment vivre ensemble
De son film, on ne retiendra probablement pas la finesse des images ou leur beauté, mais bien plus un message global qui, tout en conservant sa nuance, fonctionne comme une belle ode au vivre ensemble. Un montage invisible, des images attendues: de manière assez classique, les paramètres filmiques sont asservis au propos. Si on ne ressort pas de la séance des étoiles plein les yeux face aux images, il nous reste en tête une sorte de mode d’emploi du collectif valable que l’on soit communautaire avéré·e ou débutant·e. De ces spécialistes de la collectivité, on retiendra ainsi des concepts clé tels que la tolérance ou la persévérance. Des concepts qui, s’ils sont cités brièvement dans une critique cinématographique semblent sans doute anodins, mais qui quand ils sont animés par des expériences personnelles et des souvenirs, prennent toute leur profondeur. Vivre en groupe, c’est ainsi subir les aléas du leadership, mais aussi choisir de le tolérer ou non. Accepter que certaines de nos libertés sont dévouées, au profit de la rayonnance du groupe. Se nourrir des autres mais les nourrir en retour, se découvrir tout en découvrant l’autre. A l’image de ce que j’en retiens, les différentes formes d’idées que relaie le documentaire parviennent par leur variété à parler à tout un chacun, et à montrer avec nuance la beauté du
partage quand il va jusqu’au domicile.

Nos utopies communautaires
Documentaire, Pierre-Yves Borgeaud, Suisse, 2022, 108′, VF, 16/16 ans
A voir en avant-première romande au théâtre du Jorat de Mézières
le 25 septembre. Programme de la journée :
– 15h Ouverture de la cantine
– 17h Projection du film (durée 1h40)
– 19h Rencontres après le film, concert
Tarif Fr. 30.- (concert rock avec Sacha Love + verre de l’amitié inclus)
Au cinéma d’Oron dès le 28 septembre,
première en présence du réalisateur le 1er octobre à 20h.
Les utopies communautaires au théâtre du Jorat le 25 septembre
Le film de Borgeaud fait vivre ensemble, durant ses 98 minutes, des individus vivants le collectif de manières distinctes. Un portrait de la communauté, non pas présentée comme une réunion de sosies, mais comme l’assemblage de voix différentes qui s’entremêlent en un chant commun. A ce titre, le choix du réalisateur de se servir de la création d’un spectacle comme sujet de transition entre les différentes prises de paroles semble particulièrement judicieux. Parallèlement à ces vécus individuels qui mêlent passé et présent, la caméra de Pierre-Yves Borgeaud se focalise en effet sur la réalisation actuelle d’un spectacle choral autour des chants de l’utopie La lutte finale, au théâtre du Jorat de Mézières. A l’occasion de sa première romande, le long-métrage sera dès lors présenté dans cette très belle salle de spectacle le 25 septembre. C.G.