Des productions sans pesticides de synthèse
Votations fédérales du 13 juin

Thomas Cramatte | L’initiative populaire « Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse » préoccupe de nombreux citoyens. Si le camp du oui table sur le danger que représentent ces produits pour la santé, les opposants s’inquiètent de leur côté de l’approvisionnement en denrées alimentaires.

L’objet sur lequel se prononcera le peuple helvétique le 13 juin prochain veut interdire toute utilisation de pesticides de synthèse. Les importations d’aliments produits avec ces pesticides seront elles aussi complètement bannies dès 2031. En excluant l’usage de ces pesticides, les auteurs de l’initiative veulent ainsi protéger la santé et l’environnement. Actuellement, la législation autorise l’utilisation des pesticides de synthèse pour autant que ces derniers soient sans danger pour les êtres humains, les animaux et l’environnement. Si le oui l’emporte, une période de transition (10 ans) permettra néanmoins l’utilisation de ces pesticides dans de rares exceptions, mais à partir de 2031, plus aucun pesticide de synthèse ne sera autorisé. De nombreux domaines ont recours à des traitements comportant des pesticides de synthèse. L’agriculture est sans doute le domaine le plus concerné et le plus touché par cette initiative. Directement frappés par les problèmes liés aux maladies et aux organismes attaquant leurs cultures, les producteurs luttent avec l’aide de ces pesticides afin de maintenir et garantir leurs récoltes. Les herbicides comprenant des pesticides de synthèse sont également employés par des services d’entretien comme aux abords des voies ferrées ou aux bords des routes, des espaces verts, ainsi que par l’industrie alimentaire. Les privés ne sont pas épargnés, car ces pesticides pour jardin sont très populaires et très largement répandus.
Différences entre produits de synthèse et biologiques
Les pesticides de synthèse sont des substances contenant des composants chimiques destinés à repousser, détruire ou combattre les maladies ou les mauvaises herbes. Voilà pour la définition officielle venant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Plus concrètement, nous avons questionné un producteur bio afin d’obtenir une vision plus pragmatique : « Ces produits sont de pures créations de laboratoires agrochimiques, leurs molécules n’existent pas à l’état naturel », explique Gérald Vallélian, vigneron à Lavaux. Le glyphosate (Roundup), produit depuis 1974 par la firme Monsanto est le désherbant le plus employé au monde et en Suisse. Cet herbicide, non sélectif, est absorbé par tous types de végétaux. Son succès vient de son utilisation aisée et de son prix avantageux, expliquant ainsi sa grande notoriété autant chez les agriculteurs que chez les privés. C’est le pesticide de synthèse le plus connu, mais aussi le plus décrié pour ses effets néfastes sur l’environnement (selon de nombreux articles scientifiques). Un risque que n’a pas voulu prendre Andreas Wüthrich sur son exploitation de Puidoux : « Depuis les années 80, j’ai fait abstraction de produits industriels pour éviter toutes nuisances sur mes terres ». A l’inverse, les produits autorisés en culture biologique comportent des molécules présentes dans la nature, comme le cuivre, le soufre, l’argile, le bicarbonate ou encore les algues. Les producteurs utilisant ces ressources y ajoutent régulièrement des plantes ramassées sur leurs parcelles afin de les rendre plus efficaces. « Ce sont des produits dits de contact, qui ne protègent que ce qu’ils touchent et ont une rémanence plus courte. Ils ont aussi un impact sur l’environnement, mais il est connu, maîtrisé et nettement moins grave », précise Gérald Vallélian. Par contre l’exposition aux produits de synthèse et ses conséquences sont régulièrement reconnues comme maladie professionnelle par les tribunaux.

Pouvoir industriel
« Il est illusoire de vouloir juste stopper toute utilisation de produits de synthèse. Nous devons réfléchir à un changement de modèle agricole ». Pour le viticulteur de St-Saphorin, l’initiative du 13 juin doit nous amener à trouver des solutions avec l’aide des pouvoirs publics, de la recherche et du savoir-faire paysan, « ce texte nous pousse à réfléchir aux autres problèmes comme ceux des revenus dérisoires, des misères sociales, de la solitude, des suicides, car nombreux sont ceux qui baissent les bras ». Le texte soumis à votation se heurte au monde agricole, mais les multinationales produisant ces pesticides ne sont que rarement montrées du doigt. « Lors de chaque achat de ces produits, nous permettons à de grandes entreprises de dominer le monde paysan et de nous priver de nos libertés », s’insurge Andreas Wüthrich avant d’ajouter : « Les quantités produites en culture biologique sont certes plus faibles, mais largement compensées par une qualité nutritive plus élevée ». Si une Suisse sans pesticides de synthèse oblige une autre vision de l’agriculture, il en va de même pour notre mode de consommation. Considérant que les niveaux de productions baisseront en cas de oui, ceux-ci pourraient néanmoins être comblés en adaptant l’économie helvétique. « 40 à 50 % de la nourriture produite est jetée », rappelle Gérald Vallélian. Pour lui, le rôle du consommateur est primordial, il faut avant tout privilégier la proximité, les produits de saison, la qualité intrinsèque plutôt que l’aspect. « Ce sont ces éléments qui doivent guider nos achats ».

Sondages
Selon les dernières estimations, la votation du 13 juin prochain bat des records de participation. Les trois initiatives environnementales interpellent les citoyens helvétiques. Un sondage effectué vendredi 7 mai par la SSR démontre que l’initiative « Zero Phytos » remporte 55 % d’avis favorables. Derrière ce texte, les deux producteurs régionaux rappellent que le monde agricole subit les pressions infligées par la grande distribution et le consumérisme actuel. « L’agriculture n’est pas le problème de notre société. Nos modes de vie, notre manière d’acheter et la voracité des grandes surfaces ne voyant que marges et dividendes constituent le problème. L’agriculture a évolué dans cette société mais doit encore se réinventer. Elle a une chance unique d’être un bout de la solution » conclut Gérald Vallélian.
