Homo Europeano Festivus
Laurent Vinatier | Les Européens se sont réveillés fatigués ce lundi, après un week-end surchargé en activités diverses: internationales, festives, solaires et commémoratives dans l’ensemble. Outre le solstice d’été que sans doute quelques fanatiques du cosmos ont célébré en mémoire du dieu Râ, il y aurait eu aussi et surtout la désormais traditionnelle fête de la musique, assez proche parfois de la fête du bruit (qui n’a pas besoin de date officielle), mais qui a l’avantage de faire danser une bonne partie du continent francophone. Sauf à Cully bien sûr, où la douceur classique s’est imposée et se prête assez peu aux mouvements du corps. Pour ceux qui auraient échappé à l’influence de Jack Lang, le bicentenaire de la bataille de Waterloo, moins populaire en Suisse, offrait une occasion de se féliciter du déclin français; d’autant que le centenaire avait été un peu oublié… étonnamment.
Il restait dans ces conditions bien peu de place pour la Journée mondiale des réfugiés, décrétée le 20 juin, même si on pouvait imaginer que les militants auraient, l’après-midi, crié leur indignation face au sort des migrants de Lampedusa (entre autres) et, le soir, poursuivi les rassemblements aux sons improvisés et approximatifs de quelques concerts en plein air. Un peu partout en Europe, il semble que la plupart des gens aient plutôt attendu la deuxième partie du programme. Pour les réfugiés, ils étaient 5000 à Berlin, 200 ou 300 à Paris, moins d’un millier à Rome et une quinzaine en Suisse (à peu près). Les principaux intéressés, quant à eux, n’étaient manifestement pas non plus disponibles, trop occupés à survivre. Les organisateurs avaient pourtant tenté de mobiliser largement en ajoutant, par une association incongrue, la solidarité avec les Grecs contraints à l’austérité.
Nul ne discute ici la justesse des causes. Certainement les migrants qui traversent pratiquement à la nage la Méditerranée méritent une politique humaniste; sans doute en Grèce les excès d’une approche dogmatique doivent-ils être questionnés. Mais ceux qui s’indignent, heureux d’être du bon côté de la morale, devraient éviter (peut-être) de dire n’importe quoi. Les slogans exprimés lors des manifestations par ces quelques initiés portent à confusion: «arrêtez la déportation», pouvait-on lire à Berlin; «stop au massacre maintenant», flottait à Rome. Les mots ont une importance et les images qu’ils transportent également, à plus forte raison.
Certes, des migrants en nombre significatif sont maintenus à distance des frontières de l’Europe, d’autres sont renvoyés chez eux mais il y a des procédures, des juges, un cadre juridique strict qui n’a rien à voir avec des wagons à bestiaux. De même sur le massacre, il semble que les gardes-frontière italiens n’aient pas encore commencé à tirer à vue. Qui massacre qui exactement? Les groupes islamistes radicaux dans le désert libyen, nigérien et malien ont une part de responsabilité mais les courageux indignés d’Europe ne prendraient pas le risque de se mesurer aux barbus. Il est plus facile de conspuer la technocratie européo-mondiale. Elle le mérite certes mais la simplification des problématiques et donc des solutions proposées par ces détracteurs n’aide en rien et décourage même la contestation elle-même. Il ne faudrait pas que les idiots prennent le pouvoir, mais… Bref: il valait mieux faire la fête ce week-end!