Image d’antan
La grande lessive d’une époque
Gérard Bourquenoud | Moment de travail intense, tâche ménagère de grande envergure, la grande lessive du XXe siècle n’avait lieu que trois fois par année, l’occasion de rompre la monotonie du quotidien. Qui nous racontera le jeu des alliances et des coteries, le bruit des rumeurs et des nouvelles locales qui se dénouaient autour du lavoir villageois, lequel avait parfois l’apparence d’un tribunal populaire ou se déliaient les langues aussi vives que celles des avocats d’aujourd’hui.

A cette époque, le branle-bas de combat débutait déjà la veille de la grande lessive. Les hommes préparaient le cuveau dans lequel était mis une botte de paille sur laquelle les ménagères étalaient le linge préalablement trempé et recouvert d’un drap sur lequel il y avait 10 à 15 centimètres de cendres. Pour « couler la buée », voire faire la lessive, elles versaient de l’eau bouillante sur les cendres en surveillant la température pour ne pas endommager le patrimoine vestimentaire familial. Le lendemain, le linge était porté à la fontaine villageoise (lavoir à cette époque), où il était frotté à la brosse, tapé, rincé, puis mis à sécher sur des cordes en plein air. Les ménagères avaient chacune leur secret. Les unes écrasaient des coquilles d’œufs sur les cendres pour que les poules puissent pondre chaque jour un œuf. D’autres y ajoutaient des orties pour éviter que le linge lavé en collectivité ne porte malheur à ceux qui l’utilisent. Vénérable pratique pour ne pas dire coutume qui se prolongea jusqu’au début du XXe siècle, la grande lessive était un moment privilégié de la sociabilité féminine. Pendant plusieurs jours, elle rassemblait toutes les femmes d’un quartier où du village à l’écoute des laveuses, ravaudeuses et repasseuses qui s’entraidaient à cette besogne considérée comme une corvée, étant donné qu’à chaque épisode, il y avait une quantité opulente de linge. La grande lessive était aussi le miroir de toutes les superstitions. Ici, on n’allait pas au lavoir au cours de la semaine sainte. Là, elle n’avait lieu que le Mardi-gras. Et le jour où, dans une ferme, on lavait du linge ayant appartenu à un défunt, tous les habitants du village déposaient dans le cuveau une pièce de linge personnel, afin que la personne décédée repose en paix. Les grandes lessives d’antan étaient également une opportunité de savourer un repas gourmand arrosé de vin et d’eau-de-vie… semble-t-il pour mieux supporter les courants d’air des lavoirs.