La peinture anglaise est le reflet de l’Empire britannique sous la reine Victoria
Musée de l’Hermitage jusqu’au 2 juin
Pierre Jeanneret | L’exposition de l’Hermitage constitue une belle occasion d’aborder l’art britannique au 19e siècle, sans doute moins connu que les peintures française, espagnole, italienne ou flamande. La présentation se concentre sur la période dite «victorienne». Celle-ci désigne non une école picturale, mais l’époque du règne de la reine Victoria (1837-1901). Elle se caractérise par un mélange de rigorisme, de pruderie, mais aussi par la croissance industrielle, la formation d’un gigantesque Empire colonial, des progrès scientifiques… et la misère effroyable des classes populaires. C’est tout cela que la peinture anglaise traduit visuellement. L’exposition montre d’abord des «scènes de genre», qui racontent des épisodes, des histoires: la vie paisible de la bourgeoisie anglaise, le thé, la lecture, les femmes vêtues de larges robes du style impératrice Eugénie. Une grande toile de George William Joy datant de 1895 dépeint les passagers de l’omnibus à chevaux de Bayswater, classes sociales confondues. Parfois le récit est plus pathétique. Ainsi le tableau étonnant d’Alfred Edward Emslie, Voile enverguée après un coup de vent: le navire penche dangereusement, les vagues battent ses flancs, l’équipage s’acharne à carguer la voile. Une large place dans l’exposition est dévolue aux paysages. Le romantisme s’y conjugue avec une approche plus géographique et scientifique. Waller Hugh Paton représente l’île de Skype et ses étranges monolithes. Une grande toile de John Brett montre l’immensité de l’océan. Elle symbolise la puissance de l’Empire britannique qui s’étend sur les quatre continents. En peignant La moisson à Broomieknowe, William McTaggart se rapproche, lui, de la touche plus frémissante des Impressionnistes. On voit donc bien par là que la peinture anglaise du 19e siècle ne constitue pas une école unique, mais représente une période historique. Certains artistes introduisent dans leurs paysages le monde moderne, tel Fletcher qui a peint un remorqueur crachant sa fumée devant un pont sur la Tamise surmonté d’un ciel d’incendie au crépuscule. Il faut attendre le premier étage de l’Hermitage pour voir les oeuvres du grand génie que fut William Turner. Dans les dernières années de sa vie, l’artiste renonce pratiquement au sujet et ne se concentre plus que sur la lumière, comme le fera Monet plus tard. Son tableau Paysage au bord de l’eau constitue à nos yeux le chef-d’œuvre absolu de cette exposition. Le mouvement des préraphaélites voulait revenir à la peinture du grand maître italien de la Renaissance. Leurs tableaux sont des poèmes en prose, s’inspirant des écrivains tels Shakespeare, Walter Scott ou le poète Keats. Le thème d’Ophélie, le personnage shakespearien de Hamlet qui finit par se noyer dans un étang, n’a cessé de les fasciner. La partie la plus originale est sans doute celle consacrée à la réalité sociale, montrée sans fard. Charles Dickens a dénoncé dans ses romans l’immense misère du peuple britannique. Elle apparaît dans ces scènes où l’on voit un enfant des rues, une femme de marin en pleurs dans l’attente de son mari peut-être disparu en mer, des vagabonds – alors menacés de la prison ou des travaux forcés – ou encore le retour des soldats de la sanglante guerre de Crimée (1854-55), avec leurs blessures ou un membre amputé. Les combles de la villa sont réservés aux pionniers de la photographie britannique au 19e siècle. Ils ont surtout montré la révolution industrielle et l’Empire colonial, dont le Taj Mahal aux Indes était l’un des plus beaux fleurons. A la fin de l’ère victorienne apparaissent des mouvements picturaux plus modernistes. Le sous-sol de l’Hermitage leur est dévolu. Remarquons un superbe portrait en pied de Whistler, Rouge et noir, l’éventail, qui fait penser par le choix du sujet, la pose et les couleurs aux grands portraits de Manet. Et l’exposition s’achève sur un extraordinaire paysage de George Frederic Watts, un artiste tenté par le mysticisme: un soleil flamboyant qui annonce l’œuvre d’Edvard Munch. On le voit, cette exposition, qui se propose d’ouvrir le public à un art méconnu, est d’une très grande variété de thèmes et de styles. C’est l’un de ses charmes.
«La peinture anglaise 1830-1900» –Fondation de l’Hermitage, Lausanne, jusqu’au 2 juin.


