La petite histoire des mots
Douane

Georges Pop | La semaine dernière, le Conseil fédéral a proposé au Parlement de supprimer les droits de douane sur toute une série de produits importés, comme les voitures ou les appareils électroménagers. Si la mesure est acceptée, elle devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2022 et coûter quelque 500 millions de francs à la Confédération. Passablement de douaniers seraient sans doute surpris d’apprendre que les mots « douane » et « divan » sont intimement liés. Jadis, en Orient, les califes et autres sultans s’installaient non pas sur un trône, mais sur un moelleux sofa, un « diwan », signe de pouvoir, mot qui en arabe désignait parfois le gros pouf garni de coussins sur lequel le potentat était avachi mais surtout un bureau administratif ou un secrétariat. Le terme avait été hérité du persan, lui-même issu de l’antique sumérien, langue dans laquelle il définissait les tablettes d’argile sur lesquelles étaient inscrits les textes sacrés. Sous l’empire ottoman, les bureaux administratifs étaient pourvus de sièges très confortables et le terme, « diwan » pris par le français au turc qui s’en était emparé, se transforma en « divan » pour désigner un canapé sans dossier. Le terme fut aussi adopté, après divers ricochets, par le français pour nommer l’institution chargée notamment de la perception des droits et taxes dus à l’entrée de marchandises sur un territoire. « Diwan » fut d’abord emprunté par le latin médiéval de la Sicile, occupée pendant plus de deux siècles par les Arabes, sous les formes « doana » et « dovana » pour arriver à l’italien « dogana ». Et ce n’est que lorsque les Français s’emparèrent du royaume de Naples, au XIIIe siècle, qu’apparut pour la première fois dans la langue française le mot « dohanne » pour désigner un édifice où sont perçus les droits d’entrée et de sortie des marchandises ». Le terme prit très progressivement sa forme actuelle. Voilà comment « divan » et « douane » sont si curieusement apparentés. De nos jours en Tunisie « diwana », toujours dérivé de « diwan » veut d’ailleurs dire douane. Le mot « douane » nous a donné le verbe « dédouaner » qui signifie régler les droits de douane pour une marchandise mais aussi, au figuré, blanchir quelqu’un en le relevant du discrédit dans lequel il était tombé. Bien que très peu utilisé, le verbe « douaner » existe lui aussi. Il veut dire dans le domaine fiscal marquer les marchandises présentées à la douane du plomb de l’administration. On notera qu’en Suisse, il fallut attendre la fin de la guerre du Sonderbund et la Constitution de 1848 pour que l’administration des douanes soit confiée à la Confédération. Jusque-là, chaque canton avait sa propre monnaie et son unité de mesure et prélevait des droits de douane à sa frontière. Le commerce entre les cantons était alors aussi laborieux que le commerce avec d’autres pays. Le mot douanier dérive quant à lui de « dohanier » attesté en français dès la fin du XIIIe siècle. Se faire contrôler à la frontière par un douanier trop zélé est parfois une expérience pénible. Dans ses « Mémoires d’outre-tombe » parue en 1848, Chateaubriand écrivait déjà : « La patience me manqua; je commençai à envoyer le douanier à tous les diables ». Il est vrai que les accords de libre-circulation conclus entre la Suisse et l’Union européenne ont passablement apaisé les rapports avec les fiers douaniers.