Les ombres dans la peinture
A la Fondation de l’Hermitage jusqu’au 27 octobre

Pierre Jeanneret | Après le succès de l’exposition Fenêtres, la Fondation de l’Hermitage propose une nouvelle présentation thématique. Le risque que recèle ce type d’approche est de se concentrer sur un aspect, fût-il secondaire, de l’œuvre, au risque d’oublier son sujet principal. Cette exposition n’y échappe pas totalement. Cela dit, elle est la plupart du temps très pertinente et offre une approche passionnante. Dans ce parcours de 500 ans d’histoire de l’art, tout commence avec la Renaissance. C’est l’époque où l’artisan acquiert le statut d’artiste, se fait un nom et donc… sort de l’ombre. Il aimera peindre ses personnages, ou à se portraiturer lui-même, le visage violemment éclairé, exploitant les effets du clair-obscur dont le grand maître fut Rembrandt. On notera par exemple un extraordinaire autoportrait d’Eugène Delacroix, dont la face est comme hallucinée par le génie artistique. Avec Caravage, au tournant des XVIe et XVIIe siècles, naît le «ténébrisme», avec ses contrastes marqués d’ombre et de lumière. Les peintres éclaireront souvent leurs personnages avec des chandelles, pour mieux obtenir cet effet. L’exposition insiste aussi sur la valeur symbolique de l’ombre, notamment lorsqu’elle est liée au mythe de la caverne de Platon, où le monde des apparences, des illusions, de l’ignorance, cache le monde réel. Par ailleurs, l’ombre est inséparable de la personne. Les contes fantastiques, comme le compositeur Richard Strauss, racontent l’histoire de l’homme ou de la «femme sans ombre». L’époque romantique, surtout allemande, a privilégié les paysages, et les abbayes chères à sa sensibilité médiévale. Souvent à la clarté de la lune, une lumière blanche et diffuse, maintenant de larges espaces dans l’ombre, qui confère à la nature quelque chose d’étrange et de sublime. Les Impressionnistes, eux, ont découvert dans les années 1870 que l’ombre n’est pas noire ou grise, mais qu’elle a des couleurs. Ils l’ont donc peinte avec une variété de bleus, roses, violets, verts… C’est particulièrement sensible dans les deux superbes toiles pointillistes de Henri-Edmond Cross et Maximilien Luce. Mettons en évidence une œuvre tout à fait originale, celle de l’Espagnol Joaquin Sorolla y Bastende, L’ombre de la barque (1903), où n’apparaît que celle-ci, et non le bateau lui-même! Comme il faut au moins un parfait chef-d’œuvre dans toute exposition, on s’arrêtera devant Londres, le Parlement, reflets sur la Tamise de Claude Monet (1905), où cette scène urbaine est vue complètement à contre-jour, au soleil couchant. Une autre salle nous montre une curiosité très à la mode aux XVIIIe et XIXe siècles, les «silhouettes» de profil obtenues grâce à la lumière d’une bougie placée derrière une toile. C’est aussi le principe des «ombres chinoises». Quant aux graveurs sur bois, à l’instar de Félix Vallotton, ils ont su jouer admirablement du noir et blanc, de la lumière et de l’ombre. Le visiteur aura aussi le plaisir de découvrir l’œuvre d’un quasi inconnu, l’artiste suisse Hans Emmenegger (1866-1940), qui a magnifiquement peint, par exemple, les ombres projetées sur la neige. Si le sous-sol, en partie consacré à la photographie et aux travaux contemporains, nous a moins convaincu, c’était peut-être tout simplement dû à la fatigue, vu la richesse de l’exposition et l’attention qu’elle requiert.
«Ombres de la Renaissance à nos jours», Lausanne, Fondation de l’Hermitage, jusqu’au 27 octobre.



Photo Musée Marmottan Monet, Paris, France / Bridgeman Images

L’ombre de la barque, 1903, huile sur toile, 61,7 x 93 cm, Museo Sorolla, Madrid
Photo Museo Sorolla, Madrid

Soir, Côte de Grâce, 1917, huile sur toile, 51 x 65 cm
Collection privée, Winterthour photo tous droits réservés