L’impressionnisme canadien à l’honneur

A voir à la Fondation de l’Hermitage jusqu’au 24 mai
Pierre Jeanneret | C’est à une véritable découverte que nous convie la belle villa de l’Hermitage, au pied de la colline de Sauvabelin. Qui en effet connaît ici la peinture canadienne ? Qui est capable de citer le nom d’un-e seul-e artiste de ce vaste pays ? Certes centrée sur l’impressionnisme, l’exposition déborde quelque peu de ce cadre, ajoutant par là un intérêt supplémentaire.
Au 19e siècle, nombreux furent les peintres canadiens à se rendre en Europe pour y étudier dans les académies d’art. Et principalement en France. La première partie de cette vaste exposition – qui regroupe 108 tableaux et 36 artistes – présente donc des toiles réalisées dans ce pays. Les peintres s’inspirèrent d’abord de l’Ecole de Barbizon, dans la forêt de Fontainebleau, dont le maître incontesté était Camille Corot. Les couleurs des sous-bois frémissants sont encore sourdes. L’impressionnisme les fera éclater. Dans plusieurs tableaux, on reconnaît l’influence de Monet (comme dans le superbe Paysage avec coquelicots de William Blair Bruce peint en 1887), celle de Sisley, de Pissarro ou encore de Renoir. Cependant, ces jeunes artistes canadiens ne furent pas des copieurs! Ils apportèrent leur touche originale, notamment leur maîtrise dans la représentation des paysages enneigés ou des canaux gelés, que l’on retrouvera plus loin, dans la partie strictement canadienne de l’exposition.

William Blair Bruce, Paysage avec coquelicots, 1887
On relèvera avec plaisir la forte proportion d’artistes femmes, dont la très talentueuse Helen McNicoll, hélas décédée très jeune. Elles apportent une touche féminine, dans le meilleur sens du terme : scènes intimes et familiales, présence d’enfants, traits de pinceau délicats, douceur des coloris. Tout cela rappelle l’œuvre de Berthe Morisod, la seule femme qui fut admise dans le groupe des impressionnistes français. L’intérêt pour le thème de l’enfance peut aussi s’expliquer d’une autre façon. Le Canada, né en 1867 et qui s’est détaché progressivement de la mère-patrie le Royaume-Uni, était lui-même une nation jeune et pleine d’avenir. Les Canadiens ont peint la Seine, Paris, la Bretagne près de Pont-Aven où régnait Gauguin, mais aussi les côtes normandes. Ils s’intéressent moins au paysage lui-même qu’aux activités sociales sur les plages ou l’océan: promenades, repos sous des ombrelles, régates, toute une vie vacancière bourgeoise. Certains artistes iront ensuite à la découverte de l’Europe, notamment de l’Italie. A.Y. Jackson représente ses Cyprès à Assise un peu de la même manière que le Norvégien Edvard Munch. Tout au long de l’exposition, et surtout dans les vues hivernales, on constatera en effet une parenté entre les peintures canadienne et scandinave.

Helen McNicoll, septembre ensoleillé, 1913
Le deuxième étage est entièrement consacré à la figure féminine. La femme bourgeoise y est représentée, sans oublier le milieu paysan, avec la très belle toile La cueilleuse de pommes, à nouveau d’Helen Mc Nicoll.
De retour au Canada
Mais c’est le vaste sous-sol de la villa qui propose les œuvres les plus originales de l’exposition. Car ici, avec les artistes eux-mêmes rentrés au pays, nous retournons au Canada! L’occasion pour le visiteur européen qui n’a pas eu l’occasion de visiter les musées des beaux-arts d’Ottawa, Toronto ou Montréal, de découvrir la vie rurale au Québec ou dans les provinces anglophones, les paysages enneigés dans lesquels, on l’a dit, les artistes de ce pays excellent. On contemplera de magnifiques visions de sapins ployant sous la neige. Les peintres canadiens ont toujours préféré l’hiver à l’été, au contraire des impressionnistes français. Qui connaît la fameuse chanson de Gilles Vigneault «Mon pays ce n’est pas un pays c’est l’hiver» ne s’en étonnera pas! Il y a aussi un aspect ethnographique dans cette peinture, qui évoque un chargement de bois sur un traîneau ou la récolte de la glace, cela dans un Canada qui est en train de s’urbaniser et de s’industrialiser, comme le montre l’emblématique Train en hiver, avec son triangle chasse-neige, peint par Clarence Gagnon vers 1913-1914.

Clarence Gagnon, train en hiver, 1913-14
La Première Guerre mondiale marque une rupture. Après celle-ci, un certain nombre d’artistes canadiens se détournent de l’impressionnisme. La fin de l’exposition illustre donc le passage au modernisme, qui correspond d’ailleurs aux mutations du pays lui-même. Les peintres s’attachent à représenter la ville sous l’éclairage artificiel, ainsi que des sites industriels. Une mention pour une artiste féminine tout à fait hors norme : Emily Carr, qui s’est passionnée pour l’art des Amérindiens en Colombie britannique (la région de Vancouver), et en particulier pour leurs totems. Si vous allez dans cette région située entre les Rocheuses et l’océan Pacifique, ne manquez pas la visite de la maison de cette peintre féministe, sur la charmante île Victoria. Quant au Groupe des Sept, né à Toronto en 1920, il s’est attaché à produire une peinture nationale, exaltant les paysages sauvages du Canada, avec leurs arbres aux branches enchevêtrées de début du monde. On le voit, c’est à un parcours à la fois didactique et enchanteur que nous invite cette exposition exceptionnelle dont on ressort plus heureux.
« Le Canada et l’impressionnisme », Lausanne, Fondation de l’Hermitage jusqu’au 24 mai.