Riche exposition consacrée au génial Burki
A l’Espace Arlaud, place de la Riponne, Lausanne, jusqu’au 10 avril
Pierre Jeanneret | Les visiteurs se pressent à l’Espace Arlaud pour admirer l’exposition qui rassemble un vaste florilège des œuvres du dessinateur de presse Raymond Burki (1949-2016).

Ce dernier, par sa plume acérée, a fait la joie de centaines de milliers de lecteurs et lectrices de 24 Heures… et provoqué l’irritation de certains. On entend des rires dans le public devant tel ou tel dessin. Mais il se mêle à ce bonheur un peu de nostalgie, car Burki nous a quittés trop tôt.
A travers son œuvre, on parcourt des décennies d’histoire locale ou internationale. Le génie propre de Burki est que ses dessins avaient très rarement besoin de textes. Muets, ils étaient immédiatement explicites. « On le comprend d’un coup d’œil », disait de lui son rédacteur en chef Jean-Marie Vodoz. Mais, certains de ses dessins se référant à des événements déjà lointains, de courtes et utiles notices dans l’exposition les remettent dans leur contexte. On a souvent dit de Burki qu’il était un doux, un timide, un introverti grand amateur de pêche en rivière. C’est vrai, mais les horreurs du monde, les guerres, les massacres, la bêtise humaine pouvaient lui inspirer de saintes colères : « J’ose mettre en dessin tout ce que je n’ose pas dire de mes colères et de mes rages ». Il n’y a cependant jamais dans ses dessins de méchanceté gratuite ni de goût d’humilier. Dans certains d’entre eux, il détourne l’horreur. Par exemple, pour illustrer les attentats de Paris en 2015, il montre un groupe de poivrots buvant le Beaujolais nouveau, dont des flots rouges se mêlent au sang qui coule sur le sol… Tout est dit de cette barbarie sans nom.
Raymond Burki avait « le cœur à gauche », mais sans aucun dogmatisme. On le voit sensible à toutes les injustices, aux inégalités choquantes, à la corruption, aux licenciements massifs, aux privilèges fiscaux, au militarisme, aux atteintes à l’environnement et à la crise climatique. C’était « un rebelle sans fureur ».

Cette vaste exposition comprend plusieurs salles. A côté de très nombreux dessins, dont plusieurs en grand format et en projection vidéo, on y verra aussi des œuvres méconnues de l’artiste, comme cette série d’autoportraits de 1972-1974. Un espace est dévolu à des souvenirs personnels (livret d’apprentissage, photos, reconstitution de sa table de travail). Un autre à ses caricatures de personnalités politiques, dont il a su saisir les traits physiques et psychologiques, avec une prédilection pour Daniel Brélaz, Pascal Couchepin, Micheline Calmy-Rey et Christoph Blocher. Loin de s’en offusquer, ces derniers étaient fiers de la notoriété supplémentaire que Burki leur conférait ! Particulièrement remarquables à nos yeux sont les caricatures détournant des œuvres célèbres de Brueghel, Vermeer, David ou encore Renoir : par exemple cet extraordinaire portrait du conseiller fédéral Couchepin en Roi-Soleil, d’après le peintre de Cour Hiacynthe Rigaud ! On remarquera aussi la série « Dessinez c’est facile », on l’on voit comment Burki allait du trait initial à la caricature finale. Une autre salle est consacrée aux réactions que le dessinateur a suscitées : beaucoup de lettres dithyrambiques, mais aussi des manifestations de mauvaise humeur, voire une assignation en justice pour diffamation… Burki ne laissait donc personne insensible !
C’est un bel hommage que le Musée Arlaud, notamment avec le concours de son épouse Catherine, rend à ce maître du dessin de presse, qui reste vivant dans nos esprits et nos cœurs.
« Burki », Espace Arlaud, Place de la Riponne, Lausanne, jusqu’au 10 avril


