«Seuls ensemble», documentaire de Sonia Zoran et Thomas Wüthrich
L’EMS, lieu de partage

«Seuls ensemble», un documentaire de Sonia Zoran et Thomas Wüthrich
Colette Ramsauer | Ils s’appellent Nela, Jabar, Gaudi, Césarien, Antoni. Adolescents non accompagnés, ils ont quitté leur pays le Sénégal, l’Ethiopie, l’Iran, le Niger. Suivant un programme d’occupation, le temps d’un été dans un EMS à Lutry, ils ont travaillé avec l’artiste plasticien François Burland à la création d’une gravure monumentale destinée à l’établissement. Les réalisateurs Sonia Zoran et Thomas Wüthrich nous offrent un film empli de chaleur humaine et d’empathie. Poignant.
La rencontre de deux mondes
L’immersion dans le centre médicalisé permet de suivre la rencontre de deux mondes souffrant de solitude. De similitudes naissent des dialogues émouvants entre générations. Le langage est parfois chaotique mais le cœur y est. «Dans mon pays, on parle 45 dialectes différents, alors les langues on doit s’y faire» dit l’un d’eux. Dès l’enfance, les jeunes migrantes ont vu comment entourer et soigner leurs aïeuls. «Elles sont merveilleuses ces filles, elles n’ont plus de parents, mais tout s’est paraît-il bien passé…» se conforte une résidente. Les migrants évoquent souvent leur mère. «Je ne laisserais pas ma mère dans un home, je ne dormirais pas tranquille» déclare Jabar venu d’Iran. Il est affecté de voir ces personnes âgées larguées au même endroit.
Des histoires qui font mal
Le jeune Iranien raconte : « A 9 ans, je travaillais dans un resto. Ma mère a souhaité que je quitte. J’ai passé deux mois de voyage sans me doucher ni manger chaud. » Nela avait 13 ans quand son père l’a confiée à un passeur au Sénégal. Une autre venue de Somalie, rescapée d’une embarcation en haute mer parle de sa famille, sa tendresse pour une vache qui lui donnait son lait chaud. Ici elle se sent perdue. Sa mère ne donne plus de contact. Alors qu’elle s’active à la gravure, ses pensées semblent ailleurs. Lorsque Galicien a raconté sa traversée de 40 jours à pied depuis le Niger, François Burland qui a voyagé sur les pistes du désert saharien, n’en croyait pas ses oreilles.
Ni psychologue, ni éducateur
«Ce que François nous dit, ça me reste dans la tête» dit un gars. L’artiste est bouleversé à la pensée que Nela, Jabar, Gaudi et les autres risquent d’être renvoyés dans leur pays alors qu’ils sont déjà intégrés. Ils sont pris en charge jusqu’à l’âge de 18 ans, et après? Cela le rend triste. «Je ne suis ni psychologue, ni éducateur, je suis un artiste» souligne-t-il au début du film. «… je le prends comme une grâce, j’ai trouvé une grande force dans cette démarche» alors que ses protégés l’ont suivi sans peine dans l’aventure artistique d’un Work in progress.
A l’atelier Raynald Métraux
Les scènes d’intérieur, à l’instar des scènes extra-muros de balade ou de baignade au bord du Léman, sont captées avec justesse par les réalisateurs – habitants de Chardonne – Sonia Zoran et Thomas Wüthrich. Ils filment la finalisation de l’œuvre dans l’atelier de gravure de Raynald Métraux au Flon à Lausanne, autour de l’immense table d’impression les jeunes réunis s’activant, impatients de voir le résultat de Mystery in space (Mystère dans l’espace), image d’urbanisme informel et de plantes, où se croisent soucoupes volantes et animaux et où l’on decouvre un chien, celui qui en Afrique comptait pour l’une des jeunes filles. Le film se termine en musique. De jeunes rappeurs africains fredonnent: «La méditérannée avale nos frères, nos sœurs… n’oublie pas ta famille qui t’a vu grandir, ta mère qui…» la mer, la mère, toujours.
Seuls ensemble/Alone together – CH, 2019, 76 ’, vo fr – Documentaire de Sonia Zoran et Thomas Wüthrich
Au cinéma d’Oron, dimanche 5 mai à 18h, en présence des réalisateurs –Sortie le 8 mai 2019