Voile 2/3 – « Jeudi 12 », 50 ans d’une légende vivante
Daniel Voruz est navigateur, architecte et constructeur naval. Il a porté tout au long de sa carrière un soin particulier à ses réalisations. Il a aimé son métier. Il est aussi excessivement modeste. Les voiliers issus de son chantier, les Jeudi 12 et 6.5m, ont brillamment concouru sur les différents plans d’eau du lac et au-delà. La proximité de l’ancien chantier avec Moratel, la sympathie du constructeur naval et l’excellence des voiliers nés de son savoir-faire nous incitent à faire connaître ici l’histoire d’un magnifique voilier au palmarès prestigieux, le Jeudi 12.
Les régates
La première participation à une régate, le 24 mars 1974 au challenge Saint-Amour à Vidy, a été couronnée de succès puisque le nouveau voilier remporta la victoire. Le voilier régata avec le même équipage et la même intendance, et toujours avec le même succès. Daniel Genton à la barre, Jean-Marc Michel, Michel Blondel, Daniel Voruz, Georges-André Blondel et Bernard Loude formaient l’équipage, dont quatre d’entre eux une base solide. « Un jour d’orage, se souvient Georges-André, le génois ne voulait pas descendre. Il fallait faire avec. L’incident nous valut une excellente première place ». Il en fut de même une autre fois avec un spi récalcitrant.
Rapidement, les succès attirèrent l’attention tout autour du Lac. Trois bateaux virent ainsi le jour dans ce chantier provisoire. Le voilier aux couleurs bien vaudoises gagna une bonne centaine de régates en dix ans durant la durée de vie de la jauge ABC, et termina même 14e du Bol d’Or en 1976. Ce Jeudi 12, le mieux classé des yachts de croisière, termina 5e de la Translémanique en solitaire en 1975 avec Daniel Genton à la barre et remporta le lingot d’or offert par la Tribune de Genève. Il fut de même aligné à de nombreuses régates dont les 100 Milles de Pentecôte qu’il remporta en 1977 avec le tacticien Daniel Genton à la barre, « un des meilleurs barreurs du lac » écrivait Alain Marion, correspondant d’un grand quotidien, une course plus longue que le Bol d’Or avec un parcours compliqué qui partait de Genève pour relier Cully, Evian, Rolle, Clarens, et retour à Genève. D’ailleurs, de 1974 à 1981, les Jeudi 12, se positionnèrent en première place de la saison ABC qui comptait 16 régates, sauf en 1979 où il n’arriva « que » deuxième.
Mais qu’est-ce que la jauge ABC ?
En 1967, une poignée de navigateurs lémaniques créèrent l’Association suisse pour la course-croisière (ASCC) et développèrent une nouvelle jauge, la jauge ABC. Inspirée de la jauge anglaise RORC, elle était la première à intégrer un système de handicap qui prenait en compte la force du vent et s’imposa rapidement dans toute la Suisse. Les flottes régionales jouèrent un rôle considérable dans la propagation de la jauge constamment améliorée.
« … le génois ne voulait pas descendre. Il fallait faire avec. L’incident nous valut une excellente première place »
Georges-André Blondel
Le Jeudi 12 n’a pas été spécifiquement dessiné pour la jauge, mais il en respectait la formule principale qui stipulait ceci : le rapport de la racine carrée de la surface vélique à la racine cubique du poids ne doit pas dépasser 5,75.
Le succès fut pourtant de courte durée. Avec la décision prise en 1990 de renoncer à tout système de compensation, les flottes régionales jaugées ABC naviguant sur ces lacs furent condamnées à l’inactivité. La Suisse alémanique essaya d’abord de résister à cette évolution mais, confrontée à une critique toujours plus virulente,
elle déchanta rapidement. L’introduction de la jauge ORC Club au niveau international fut ainsi ressentie comme une libération. En 1998, l’Association suisse pour la course-croisière décida de laisser tomber la jauge ABC en faveur du système international réputé plus moderne.
Vendredi 13, le modèle, et pourquoi Jeudi 12 ?
A la Transat anglaise de 1972, appelée aujourd’hui la Transat en solitaire, le monocoque Vendredi 13 dessiné par Dick Carter et construit avec le soutien financier du cinéaste Claude Lelouch arriva second derrière le trimaran Pen Duick IV à Alain Colas, dont le précédent propriétaire était Eric Tabarly. Cette course en solitaire courue d’est en ouest reliait l’Europe à l’Amérique du Nord. Jean-Yves Terlain, oncle de Loïc Peyron, était le barreur de Vendredi 13, son concepteur et propriétaire. Il devançait la course quand des problèmes de gréement le contraignirent à « réduire la voilure » et à terminer 2e, mais premier monocoque. Ce voilier devenu ensuite Manureva disparut en 1978 avec son propriétaire. Cette disparition inspira à Gainsbourg la chanson « Manureva » qu’interpréta Alain Chamfort.
Vendredi 13, une bête de course conçue pour battre tous les records, était une goélette fabuleuse à trois mâts soutenants chacun un foc bômé de 100m2, de 39 mètres de long et déplaçant
35 tonnes. Sa vitesse devait être de 30 nœuds. Il fallait bien un Jeudi 12 pour égaler ces records !
Sources : Skipper, plaquette Jeudi 12, Daniel Voruz, George-André et Nicole Blondel
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